Comment bâtir des ponts entre les milieux du plein air et du sport au Québec?
Par Isabel Blouin, en collaboration avec Virginie Gargano, Emmanuelle Larocque, Christian Mercure, Caroline Vézina et Nicolas Moreau.
Découvrez une communauté qui relie des approches innovantes.
Le Réseau pour un développement psychosocial par le sport et le plein air existe depuis 2016 et a pour mission de faire émerger un mouvement de développement humain par le sport et le plein-air, en reliant la communauté tout en proposant et rendant accessibles des approches alternatives innovantes ayant un impact pour la clientèle et les décideurs. Il s’est donné pour vocation de créer des échanges entre les nombreux acteurs du milieu québécois en misant sur la diversité des profils.
Le réseau a émergé suite à la rencontre de plusieurs acteurs impliqués dans le champ du sport et du plein air : Luk Parlavecchio de l'Institut DésÉquilibres, Suzanne Laberge, professeure titulaire au Département de kinésiologie de l’Université de Montréal, Nicolas Moreau, professeur titulaire à l’École de travail social de l’Université d’Ottawa, Tegwen Gadais du Département des sciences de l'activité physique de L’université du Québec à Montréal, Sébastien Rojo du département de psychoéducation de l’université du Québec à Trois-Rivière et Fabrice Vil de Pour 3 points.
Cette communauté avait initialement pour but de répondre aux enjeux que soulevaient à l’époque certains constats dans le milieu du sport et du plein air, mais surtout de constituer un réseau d’échange et de discussion, mais aussi de prêt de matériels. Québec en forme, Bien dans mes Baskets, Pour 3 Points, DésÉquilibres, Sport et Loisir de l’Île de Montréal ou encore Aventure Écotourisme Québec ont été les partenaires historiques du réseau et demeurent encore impliqués dans cette aventure.
Aujourd’hui, le Réseau est une communauté de plus de 220 personnes issues du monde de la recherche, de l’intervention, de l’entrepreneuriat et de l’éducation. Ayant été mis en place majoritairement par des acteurs provenant de milieux sportifs, elle est à ce jour de plus en plus animée par la grande vitalité d’initiatives en intervention par le plein air québécois. Dans ce contexte, quelle est la pertinence que le sport et le plein air soient reliés par cette communauté florissante? Est-ce que l'approche psychosociale serait une avenue pour relier sport et plein air? Quelques membres de la communauté se penchent sur ces questions au cœur de la raison d’être du Réseau.
L’union fait la force!
Selon Christian Mercure, professeur et directeur intérimaire du DESS en intervention nature et aventure du département des sciences humaines et sociales de l’Université du Québec à Chicoutimi, les deux domaines peuvent mutuellement s’inspirer. Le sport dans son historique, dans ce qui a été développé, peut apporter une plus-value au niveau structurel pour le milieu du plein air. Le milieu du sport est une référence par son expérience, ses initiatives et programmes bien établis, sa portée, ses chercheurs, ses nombreux milieux de formation, ses fédérations et regroupements, son intégration et ses partenariats avec les organismes gouvernementaux et paragouvernementaux, etc. Les initiatives visant le développement psychosocial par la nature et l'aventure étant en essor au Québec peuvent, quant à elles, servir de véhicule pour susciter des initiatives liées au sport. Le milieu du plein air peut inspirer le milieu du sport par son dynamisme, ses approches novatrices (innovation sociale), ses valeurs de solidarité et environnementales, etc.
Caroline Vézina, coordonnatrice et intervenante à Motivaction jeunesse, reconnaît qu'il y a des différences importantes entre le domaine de la nature-aventure et celui du sport, mais qu’il y a également similitudes majeures notamment via les sports de plein air (randonnée, raquette, ski, escalade, canot, vélo de montagne, etc.). Il y a selon Caroline des dynamiques propres aux sports qui s'effectuent en contexte de plein air, notamment pour les disciplines mentionnées ci-haut. Ces dynamiques s'ajoutent, selon elle, aux bienfaits et composantes de la nature et de l'aventure.
C'est pourquoi nombreux sont les programmes d'intervention par la nature et l'aventure qui utilisent et s'effectuent dans le cadre d'une discipline sportive. Chez Motivaction, et sans doute chez d'autres organisations, il y a une réflexion sur le type discipline sportive à privilégier en fonction du profil des participant.e.s (capacités et défis) et des objectifs encourus. Par exemple, l’utilisation de la randonnée pédestre est préconisée si l'objectif est d'effectuer un retour sur soi et une meilleure connaissance de soi, l’eau-vive s’il est souhaité de joindre une clientèle qui a un fort besoin de sensation forte, l'escalade pour développer un lien de confiance entre des jeunes et leurs intervenants. Caroline croit que les sports de plein air ont des bienfaits et des dynamiques qui leur sont propres et qui peuvent être utilisés, au même titre que les composantes liées à la nature, pour bâtir des programmes d’interventions.
Selon elle, certaines dynamiques (exemple : confiance, communication, dépassement de soi) sont développées au travers de la nature, mais également au travers d'une discipline sportive qui s'effectue en nature. Par exemple, une expédition de canot est bénéfique non seulement parce qu'elle provoque une immersion en nature, mais surtout parce qu'elle force les participants à développer des aptitudes de canotage qui permettent de développer une meilleure communication. C'est la roue qui tourne des bénéfices conjoints liés au sport et au plein air et qui ajoutent à l'expérience.
Virginie Gargano, Professeure adjointe en Sciences sociales à École de travail social et de criminologie de l’Université Laval, croit aussi qu’il y a des similitudes importantes à reconnaître entre le sport et le plein air. La pertinence pour laquelle le Réseau se doit d’unir les forces de ces deux champs d’activités s’inscrit dans les fins du développement humain. Selon elle, des similitudes existent entre les deux, notamment en ce qui concerne leurs bénéfices semblables sur la santé générale. Ces bénéfices découlant 1- de défis et déstabilisation surmontés lors de la pratique d’un sport ou d’une activité en plein air, permettent l’acquisition de nouvelles compétences et en l'occurrence, de vivre des réussites personnelles. Que ce soit en plein air ou dans le sport, ce mécanisme s’opère et donc, des retombées au plan personnel peuvent en découler. Il peut s’agir du développement de l’efficacité personnelle, de la fierté, du sentiment de compétence - qui ne sont que des exemples parmi différentes retombées. En outre, 2- que ce soit en plein air ou dans le sport, des effets découlent de la participation des membres. À cet égard, tous les humains ont des besoins fondamentaux qui concernent le besoin d’affiliation, de reconnaissance et de cohésion (se sentir soutenu). Le sport et le plein air sont susceptibles de répondre à ces besoins.
En termes de dissemblances, la professeure Gargano rapporte que plusieurs travaux mettent en exergue les retombées associées aux expositions et aux immersions en nature. Il en est de même en ce qui a trait au degré d’interdépendance entre les membres et le niveau d’incertitude associé au contexte (nature et aventure). Malgré cet apport plutôt associé au plein air, elle croit tout de même en la pertinence de s’unir.
En effet, selon Virginie, le sport et le plein air sont encore perçus comme des ressources marginales ou alternatives, d’où l’importance d’unir les forces de ces deux “domaines” afin de faire progresser les perceptions. D’une part, afin de mettre en valeur les bénéfices qu’ils facilitent au plan humain et d’autre part, sur leur valeur au plan de l’activité physique. Dans une société comme le Québec, où le taux de sédentarité est de plus en plus élevé, considérer le sport le plein air autant pour le développement humain que pour les bénéfices au plan physiologique pourrait avoir un impact sur nos décisions comme société.
Sport et plein comme ressources de potentialisation et de connexion
Pour Emmanuelle Larocque, professeure au Département de travail social de l’Université du Québec en Outaouais et travailleuse sociale, il y a en effet plusieurs avantages à relier le sport et le plein-air. Notamment pour répondre à des besoins contemporains émergents, dont celui d’être connecté. Le sport et le plein-air offrent cette possibilité de manière séparée, mais la combinaison des deux peut venir bonifier une intervention.
Il importe pour elle de mentionner que le sport et le plein-air consistent en des espaces spécifiques et uniques, dont les effets sur le développement psychosocial dépendent des intentions visées par l’intervention. Alors que ces espaces offrent la possibilité de favoriser le développement psychosocial, force est de constater que différents mécanismes sont à l’œuvre pour activer ce processus. Par exemple, la création de liens sociaux et solidaires pourrait se faire via le travail d’équipe dans un contexte d’intervention par le sport ainsi que dans un contexte d’intervention par le plein-air. Cependant, les activités proposées pour tisser et solidifier ces liens pourraient être bien différentes.
Ce qui est intéressant pour elle, est que combiner le sport et le plein-air permet de multiplier les possibilités pour travailler différentes dimensions du développement psychosocial selon une approche expérientielle et corporelle. C’est d’ailleurs ce qu’elle a pu observer lors de sessions d’intervention individuelle ou de groupe combinant le sport et le plein-air. Pour Emmanuelle Larocque, ces deux « outils » (le sport et le plein-air) peuvent faciliter la prise de contact avec le corps et avec l’environnement, le développement de capacités d’adaptation, de gestion du stress, de communication et de résilience émotive, etc.
En raison des capacités à solliciter différentes sphères de l’expérience, il lui semble plus juste de parler de développement humain (versus psychosocial) afin de rendre compte des effets que peuvent avoir l’intervention « par le sport » et « par le plein-air », lorsque juxtaposés, sur la santé globale (psychosociale, spirituelle, physique et mentale). À cet égard, les études qu’elle a réalisé dans le cadre de sa thèse doctorale en travail social ont montré que le plein-air est non seulement un contexte capacitant pour développer des aptitudes ou habiletés psychosociales mais aussi un moyen de reconnecter avec le monde naturel, ralentir, être « en résonance avec le monde », comme le dirait le philosophe Hartmut Rosa. Ces interactions avec le monde naturel ont comme effet possible de développer un regard autre sur la nature permettant ainsi de cultiver un sentiment d’ancrage, d’appartenance et d’attachement au lieu naturel fréquenté. Bref, créer de l’espace pour permettre aux personnes de ralentir, de ressentir et de s’émerveiller en nature est un moyen pour contrecarrer les effets de la société contemporaine, laquelle opère selon un mode de vie en accélération et axé sur la performance.
En cette période foisonnante d’initiatives d’intervention en plein air pour le développement humain, Emmanuelle Larocque tient d’ailleur à souligner l’importance de promouvoir des interactions respectueuses avec le monde naturel afin d’en assurer la pérennité et de mettre en œuvre des pratiques qui visent non seulement le développement psychosocial, mais aussi le développement de liens solidaires et équitables avec le vivant.
Pour le professeur Nicolas Moreau de l’École de travail social de l’Université d’Ottawa, lier le sport et le plein air fait sens théoriquement, mais aussi sur le plan de l’intervention. Il partage l’avis de ses collègues sur les bénéfices possibles majorés par la combinaison de ces deux champs. Néanmoins, il est également important pour le professeur Moreau de bien définir le sport et le plein air, comme outil d’intervention, dans un contexte où le sport et le plein air, que ce soit dans le milieu académique que sur celui de l'intervention, relèvent de traditions et d’outils différents.
Une alliance pleine de sens
Sport et plein air ont beaucoup en commun et mérite qu’on s’attarde non seulement aux bénéfices qu’ils peuvent avoir chez l’être humain mais aussi de comment valoriser la mise en place d’approches les utilisant intentionnellement à des fins de soins et d’outils d’interventions; voire même de performance.
Ces deux champs d’intervention sont interreliés et gagnent énormément à s’ouvrir l’un à l’autre. Vivre en équilibre avec son environnement donne accès à son plein potentiel, qu’on soit athlète ou non.
Dans une société qui peine à répondre aux besoins psychosociaux, par les champs disciplinaires novateurs qu’il regroupe, le Réseau pour un développement psychosocial par le sport et le plein air a plus que jamais sa raison d’être. En unissant les expertises provenant des domaines sport et plein air, il crée un véhicule d’envergure pour démontrer les bénéfices que peuvent avoir ces approches pour le développement humain et en augmente ainsi la légitimité au sein de nos communautés.
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